« Qu'est-ce qui m'a foutu un pareil pot d'tabac....t'as l'air d'un lolosse !!! »
Papa a raison ,
cela va bientôt faire une semaine que je n'ai pas rendu visite au coiffeur .
Il surveille ma progression capillaire avec beaucoup plus d'attention que l'évolution de mon carnet de notes , une certaine forme de déformation professionnelle...il me plaque une main sur la tête , m'emprisonne les mèches entre les doigts , et me fait sentencieusement remarquer que si j'étais l'un de ses matelots , j'aurais droit à une semaine au trou , pas un cheveu ne doit dépasser des phalanges , le règlement c'est le règlement , il n'y a pas à discuter.... exécution !!!
Mr. Sanchez se retourne au tintement aigrelet de la clochette alors que je pousse la porte vitrée de son salon de la rue Hippolyte de Tocqueville .
« Ah c'est toi , assieds-toi , i'en ai pour oune minoute , i'é fini monsieur , et i'é m'occoupe dé toi ! «
Mr. Sanchez est un réfugié de la guerre d'Espagne , le visage bronzé sillonné de rides profondes , le cheveu noir lustré de brillantine , une fine moustache à la Errol Flynn , il adore me raconter ses souvenirs même si je ne comprend pas le quart de ce qu'il dit....je l'aime bien , notre rencontre hebdomadaire finit par tisser des liens , il parle sans arrêt , un mégot collé au coin des lèvres , une cigarette neuve coincée derrière l'oreille qui attend que la place se libère , d'une curieuse voix rauque que lui-même attribue à l'excés de tabac .
Comme d'habitoude ??...C'est çà , comme d'habitoude , une brosse ultra-courte , bien dégagé derrière les oreilles....je déteste çà , j'ai les oreilles décollées , quand je sors de chez lui on les voit encore plus , çà me fiche des complexes , maman m'affirme qu'il n'y a que moi qui le remarque , mais je suis sûr qu'elle ment ou alors elle est aveuglée par son amour maternel .
C'est vite fait , quelques coups de ciseaux , le cliquetis de la tondeuse glacée qui se promène sur ma nuque , le cylindre de gomina bien gras qu'il me frotte énergiquement du front vers l'arrière du crâne pour maintenir le poil bien dressé , la balayette qui me chatouille le cou pendant qu'il écarte d'un doigt le col de ma chemise , le miroir qu'il promène fièrement de bas en haut et de gauche à droite pour me faire admirer une œuvre que je n'ose pas regarder....il me débarrasse de la blouse à larges manches qu'il secoue consciencieusement sur les gens qui attendent , m'aide à descendre du fauteuil , me brosse partout une dernière fois , m'ouvre la porte...
« Tou dira bonïour à ton papa dé ma part ! »
Je rase les murs , je vois en coin mon reflet dans les vitrines , je me trouve ridicule , j'ai honte , il faut absolument que je demande à maman de m'acheter une casquette...
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