Août 72
Petit matin brumeux
sur l'aéroport de Vientiane …..
nous avons passé la nuit à faire la fête ,
d'abord en boîtes
ensuite dans la villa d'un coopérant Canadien ...
nuit de folie alors que la guerre resserre son étau
sur le dernier carré d'étrangers regroupés au bord du Mékong
pour fuir les partisans du Pathet Lao , l'équivalent du Viêt-cong plus à l'est ,
ils s'étourdissent dans l'alcool , le lucre et le stupre
pour oublier qu'ils vivent les derniers feux d'un paradis colonial ,
que cette fin de règne sent la poudre
et que nul ne peut prévoir de quoi sera fait le jour qui se lève .
Nous ne sommes pas très frais au bout de cette nuit blanche ,
au cours de nos libations nocturnes nous avons fraternisé
avec un vieux pilote noir, retraité de l'armée française
qui nous a aimablement proposé de nous conduire à Luang-Prabang ,
ancienne résidence royale au nord du pays ,
qui recèle à l'entendre de purs chefs d'œuvres d'architecture bouddhique ,
l'un des ultimes îlots de résistance…. complètement encerclé par les rebelles , ravitaillé une fois la semaine par voie aérienne .
Excités par l'aventure et l'alcool nous avons accepté d'enthousiasme sans réfléchir plus avant .....maintenant avec une gueule de bois carabinée ,
nous sommes regroupés dans la grisaille lourde et pluvieuse de la mousson qui s'annonce....
au pied d'un vieux bimoteur délabré , à attendre un grand-père volant
en compagnie d'une poignée de paysans en tenue folklorique ,
encombrés de paquets , de cages à volailles et cochons entravés ,
de toute évidence nos compagnons de voyage .
Babal-Cacahouète , c'est le nom qu'il nous a donné ,
arrive en traînant la jambe ,
pas plus réveillé que nous, grand noir au visage ridé comme un pruneau ,
à la chevelure crépue éclatante de blancheur ,
il nous dévisage en plissant les yeux ,
l'air étonné et incrédule que nous ayons pris au sérieux sa proposition d'éthylique si tant est qu'il se souvienne nous l'avoir faite .
Bougonnant il fait monter les paysans à l'arrière avec ballots et animaux ,
pas de sièges , chacun s'installe comme il peut parmi les caisses entassées ,
ça sent la basse-cour , la volaille effrayée bat de ailes à grands cris dispersant des nuages de plumes , les gorets hurlent à la mort , des femmes tentent de calmer des marmots en pleurs , Babal donne des ordres dans leur dialecte , dans cette ambiance surréaliste on se demande ce que l'on fait là avec une formidable envie de rentrer à l'hôtel finir notre nuit .
D'autorité le vieux baroudeur nous pousse dans la cabine de pilotage ,
-Vous n'allez pas voyager avec la racaille !!!-
il se met aux commandes , assisté d'un tout jeune copilote Laotien
qui n'a pas du abandonner ses culottes courtes depuis bien longtemps ,
il nous le présente , -Mon apprenti !!! –
nous déposons nos sacs sur le plancher en guise de sièges ,
nous sommes six , amis de rencontre et de circonstance ,
embarqués à reculons et avec une bonne dose d'inconscience
dans une galère à l'issue plus que douteuse.
Dans un vacarme d'enfer le vieux coucou vibre de toutes ses tôles et s'arrache lourdement de la piste , très vite nous survolons la jungle , je regarde Babal qui vient de laisser les commandes au gamin crispé sur le manche - A toi d'jouer petit !!!- ,
il se tourne vers nous , hilare , je me demande quel âge il peut avoir ,
soixante dix ? soixante quinze ? , certainement dans ces eaux là ,
il sort une caisse dissimulée sous son siège , en extrait des bouteilles de vin , nous en passe une à chacun ,
- Du Bordeaux les gars !!! - ,
on fait circuler le tire-bouchon , on trinque de bouteille à bouteille ,
- A la santé de la France !!!
Il nous désigne un point perdu dans les arbres , -
Le tas de ferraille là-bas , c'est un pote qui s'est fait descendre la semaine dernière , faut faire gaffe c'est plein de DCA par là !!!
Je manque de m'étouffer , les autres deviennent livides , nous crevons de trouille , lui rigole ,
- Il faut bien partir un jour , peut importe comment et lequel !! ,
personne n'ose commenter une aussi pertinente remarque ,
nous écarquillons les yeux pour tenter de voir d'où va partir la rafale qui va nous abattre .
Le vol se poursuit pourtant sans encombre , impossible de savoir s'il se moque ou s'il est sérieux , après ce qui nous paraît une éternité nous nous posons lourdement sur une piste défoncée sous une pluie battante au milieu de véhicules blindés et de militaires nonchalants armés jusqu'aux dents . Grand seigneur notre mentor nous conduit au meilleur hôtel du coin uniquement occupé par des officiers en tenue de combat , à l'extérieur on entend des explosions et des tirs d'armes lourdes .
Pas de problème pour les chambres , à part nous et les militaires , pas un client , on nous regarde comme des extraterrestres , des touristes en pleine guerre et pendant la mousson çà fait désordre , on nous dit que la pluie peut tomber pendant des mois sans discontinuer , le bon côté c'est que le mauvais temps ralentit les combats .
Babal se dirige vers la sortie , un grand salut de la main ,
- Allez les jeunes , bon séjour et à la semaine prochaine …
si tout va bien !!! - .
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